Où est l’inflation ?

Officiellement, elle est aux abonnés absents, depuis 10 ans. Malgré les incroyables efforts de la Banques Centrale Européenne, en particulier depuis 2015, avec ses rachats d’actifs, elle ne remonte pas. C’est une réalité mathématique. Les chiffres sont têtus. Les statistiques ne mentent pas. Cependant, l’idée même d’approcher le coût de la vie est un peu plus compliqué qu’une simple agrégation de chiffres permettant d’obtenir un indice des prix et un taux de variation annuel. En effet, il existe un gros problème dans l’appréciation du coût de la vie qui s’appelle le progrès. Et l’inflation n’en tient pas compte.

Pour illustrer cet écueil, supposons que vous soyez un fan d’iphone. En 2014, vous achetiez 709 € un modèle 6 avec 1 Go de RAM. Et 2016, moyennant 769 €, vous craquiez cette fois-ci pour le modèle 7 avec 2 Go de RAM. En conséquence, le prix de l’iphone a grimpé de 8 % en 2 ans. Mais en même temps, celui du giga de RAM a presque chuté de moitié. Alors, inflation ou déflation ?

Je me doute bien de votre réponse. Pour vous, l’iphone, c’est le dernier modèle, sinon rien ! Cependant il faut avouer que mettre sur un pied d’égalité deux produits qui ne le sont pas, serait un peu malhonnête. Si en 2016, suite à la casse de votre iphone 6, vous vous étiez contenté de le remplacer par le même modèle, vous auriez pu le toucher à 400 €. Et -43 %, c’est de la déflation !

Vous voyez donc que le progrès n’aide pas à quantifier l’inflation. Ceux qui sont en charge de le faire, les agents de l’INSEE, doivent choisir entre suivre l’évolution du prix du giga de RAM et celui du dernier iphone sorti. En fait, ce choix est fait depuis longtemps, ils suivent le prix du giga de RAM et de tout ce qui compose un smartphone : l’écran, la mémoire de stockage, l’appareil photo… Et il en va de même pour tous les produits du « panier moyen de la ménagère ». Et parce qu’un jour arrive où plus personne n’achète de smartphone avec 1 go de RAM, celui-ci disparaît du « panier moyen de la ménagère » et donc des prix suivis par les agents de l’INSEE. C’est comme cela que le progrès est pris en compte dans le calcul de l’inflation. Par la pondération dans les calculs, des produits que nous consommons effectivement. Ainsi, l’iphone 6 pèse fortement dans le « panier moyen de la ménagère » de 2016, puis disparaît progressivement, au fur et à mesure qu’il est remplacé par les modèles suivants.

L’INSEE n’a pas le choix sur la méthode employée. D’ailleurs, si cet institut essayait de faire autrement, ce serait la porte ouverte à toutes les manipulations. Quel compromis serait acceptable entre suivre les prix du smartphone ou de ses composants ? En réalité, tout écart avec le principe de suivre les prix de produits invariables ne rentrerait pas dans la définition même de l’inflation. Les agents de l’INSEE font juste leur job ! Et ce qu’ils calculent est bien l’inflation et rien que l’inflation. Le problème n’est donc pas là.

Le problème, c’est que l’inflation ne tient pas compte du progrès. Le cas du matériel informatique est caractéristique. Les prix de chaque produit pris un à un baissent inexorablement. Et en même temps, les tarifs des produits proposés à la vente vont dans l’autre sens. Ainsi, l’INSEE constate de la baisse, alors que nous vivons de la hausse. Il nous est même très difficile de refuser cette hausse, car les anciens modèles ne sont plus à vendre. De toute façon, ils ne seraient pas forcément compatibles avec les infrastructures actuelles : vitesse, norme de connexion… Ni avec la puissance requise par les logiciels actuels. Enfin, il faut bien avouer aussi qu’ils ne répondraient pas forcément aux désirs du consommateur actuel.

Peut-être allez-vous me dire que l’informatique est trop caricatural, car c’est un domaine en pleine révolution ? Détrompez-vous, le progrès est partout, même là où on ne l’imagine pas. Prenons le produit le plus basique du « panier moyen de la ménagère » : le pain. L’INSEE relève les prix des différents types de pains qui nous sont proposés. Cependant, force est de constater que le rayon consacré à la baguette de base se réduit années après année. De manière générale, les consommateurs aspirent à manger mieux. Et petit à petit, ils le font en se tournant vers des pains plus qualitatifs et donc plus chers. Là encore, les habitudes de consommation évoluent vers du mieux et donc vers des produits plus chers, tandis que les prix des produits en question ne montent pas forcément.

Autre exemple qui pèse très lourd dans le « panier moyen de la ménagère » et qui semble immuable : le logement. Si on considère les matériaux de construction, les prix évoluent peu. Cependant, des produits plus performants ou plus dans l’air du temps apparaissent et invitent le consommateur à la montée en gamme. Il en va de même des normes de construction qui renchérissent les prix des biens neufs, sans même laisser le choix à l’acquéreur potentiel d’en refuser l’adoption. Quant à l’ancien, il suit la même direction, encouragé par le diagnostique technique à produire par le vendeur ou le bailleur. Ainsi, l’INSEE enregistre là encore des prix relativement stables, tandis que le prix à payer pour se loger s’envole.

En conséquence, la thèse selon laquelle l’INSEE bidouillerait les prix pour servir un dessein politique n’est pas soutenable. Le problème ne se trouve pas dans le calcul de l’inflation, mais dans l’importance qu’on lui accorde. En effet, c’est sur la base de cette donnée qu’on revalorise les salaires. Ainsi, on dispose des moyens pour maintenir notre train de vie, mais pas pour bénéficier du progrès. Et le problème, c’est que le progrès se rappelle à nous en permanence. Vous aurez beau chercher une nouvelle 205 pour remplacer la vôtre, vous n’en trouverez plus. Ça fait longtemps qu’il n’en sort plus des lignes de production de Peugeot. De plus, les normes environnementales ne vous laisseraient même pas le loisir de l’acheter et bientôt de l’utiliser en ville. Ainsi, de gré ou de force, vous êtes condamné à subir le progrès. Et si vous n’en avez pas les moyens, il vous faudra réduire vos dépenses. Prendre le bus sera une option à envisager. Vous aurez beau vous indigner et protester, vous n’échapperez pas à la course du progrès. Même pour les décroissants et les collapsologues, les temps sont durs.

Le problème ne semble pas nouveau, aussi pourquoi vient-il sur la table aujourd’hui ?

Le progrès a toujours été plus ou moins là, mais actuellement, on vit une phase d’accélération. Il y a 13 ans, les smartphones n’existaient pas, Facebook ne concernait que quelques étudiants américains, la voiture électrique était une utopie et l’agriculture biologique, une idée réactionnaire. Personne ne parlait de travailleurs remplacés par des machines, d’automatisation, d’algorithmes, de robots advisors, de big data ou d’intelligence artificielle. Ainsi, après une première révolution, celle « industrielle », qui avait touché les mains de nos ancètres, cette seconde révolution que nous vivons à présent, concerne notre cerveau. Et les conséquences sont comparables à la précédente. Une production plus efficace et plus abondante, alimentant une inévitable déflation, ainsi que l’apparition d’avancées formidables, comme cela avait été le cas, il y a un siècle et demi, avec l’électricité, le train, la voiture et l’avion…

Bien sûr, comme c’est le cas actuellement, ce progrès a d’abord été réservé aux gens les plus aisés. Les ouvriers sortant fraîchement des champs pour alimenter les usines n’avaient pas accès à ce qu’ils produisaient. Au début, un billet de train devait coûter une fortune, comme les iphones actuels. La classe moyenne se trouvait déjà prise entre deux feux : une déflation féroce et un progrès incroyable.

Depuis toujours, le salut ne se trouve pas dans le salaire qui ne progresse qu’avec l’inflation. La meilleure façon de suivre financièrement cette folle course au progrès a toujours été d’y investir ses économies. Les parcours boursiers des entreprises technologiques viennent de nous offrir les mêmes opportunités que les compagnies de train au XIXème siècle et ce n’est peut-être pas fini. L’histoire se répète et le pouvoir est toujours entre les mains de ceux qui prennent des risques… Ou de ceux qui possèdent le capital, si vous préférez voir les choses ainsi. Avec les révolutions technologiques, les écarts sociaux se creusent. On le constate actuellement, avec des riches de plus en plus riches. Mais ne croyez pas que cela ne concerne que notre époque. Pour l’instant, les plus fortunés de notre planète, Bezos, Gates et Buffett sont trois fois moins riches que les milliardaires issus de la révolution industriel du XIXème siècle, Rothschild, Rockefeller ou Carnegie (corrigé de l’inflation, bien entendu).

En conclusion, l’inflation n’est pas forcément le bon paramètre à prendre en compte quand on veut caractériser le coût de la vie. C’est bien une arnaque intellectuelle pour faire avaler à la classe moyenne qu’elle n’a pas les moyens. En même temps, les innovations sont d’abord rares, avant de se diffuser dans notre société. Se révolter est vain. Beaucoup d’européens aimeraient posséder le dernier iphone et pourtant Apple n’a que 18 % de parts de marché chez nous. Nourrir ses enfants avec du bio est un bel objectif mais à ce jour, seules 20 % des terres agricoles françaises ont été converties à ce mode de production. La voiture électrique est une ambition partagée par le plus grand nombre et pourtant, elle ne représente même pas 2 % des immatriculations en France. Ce n’est pas nouveau, le progrès n’est pas à la portée de tout le monde.

Mais dans le fond, la question n’est peut-être même pas là. C’est plutôt la pression que l’on subit pour adopter le progrès qui est plus grande que jamais. Les anciens modèles disparaissent des étales plus vite que jamais. Les normes qui nous imposent ce progrès, n’ont jamais été aussi présentes. Il est hors la loi de construire un logement comme on l’a pourtant fait pendant des siècles. Par ailleurs, la publicité et le marketing touchant à nos ressorts psychologiques les plus profonds nous manipulent comme jamais auparavant. Nous sommes toujours plus soumis à la tentation de renouveler notre téléviseur. Nos grands-parents et arrière-grands-parents ont aussi dû ressentir les mêmes sentiments quand ils regardaient passer les premières voitures, alors qu’ils se déplaçaient à pied ou à vélo. Maintenant, il faut espérer que l’histoire ne bégaie pas.

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