La rupture du contrat social entre les générations menace vos retraites

Le 30 avril dernier, a eu lieu la remise des diplômes d’Agro Tech Paris 2022. Depuis, des vidéos sur ce qu’il s’y est passé font le buzz sur internet. Il faut dire qu’il y a matière. On y voit une poignée d’étudiants remettre en cause radicalement notre société, alors qu’on devrait plutôt s’attendre les voir louer le système qui vient de leur accorder le plus prestigieux des diplômes français en agronomie.

Le plus frappant dans leur discours, c’est le radicalisme de leur position. Non seulement ces jeunes rejettent les techniques qui leur ont été enseignées, mais ils bannissent aussi sans détour le système capitaliste qui les met en œuvre. Ce n’est plus une simple question de choix entre bio et pesticides, mais une mise en cause des fondements de notre société. Ces gens destinés à intégrer l’élite du fleuron de l’économie française se suicident en direct sur l’estrade de leur amphi !

Est-ce une révolte isolée ?

Image par SnaXXy de Pixabay

Lors de votre visualisation des séquences vidéos en question, je vous invite à porter attention aux applaudissements de l’auditoire, a priori formé par leurs camarades de promo. On a l’impression que ces agitateurs en herbe sont portés par la foule. Ça laisse penser que nombreux sont les révolutionnaires parmi ceux qui vont décider du contenu de nos frigos.

Même si ces jeunes gens ont touché la malbouffe en plein cœur, j’ai bien peur que ça ne concerne pas que notre nourriture. La portée de leur discours va bien au-delà. Et c’est le capitalisme qui est clairement montré du doigt plutôt que notre société consumériste et ses conséquences dans nos assiettes. En effet, ces étudiants ont bien identifié à qui profite le crime et se refusent à y participer en donnant de leur temps.

Image par Qui Nguyen Khac de Pixabay

Le phénomène est loin d’être isolé. Et il semble parti des US, où le flux des démissions atteint aujourd’hui les 4,5 millions par mois, alors qu’il ne dépassait pas 2 millions en 2010. Certes, une bonne partie vont retrouver un travail ailleurs, mais il existe une frange de plus en plus importante qui va disparaître du monde du travail, tel qu’on l’entend économiquement parlant. Même si on a du mal à quantifier le phénomène, on sait qu’ils sont des millions à poursuivre leur existence dans un mode de vie « alternatif ». Et à ceux-ci, on peut rajouter les 2,4 millions de nouveaux retraités « non prévus » selon une étude de la Fed de St-Louis, publiée en novembre dernier. Alors que nos dirigeants voudraient nous faire travailler plus longtemps, certains trouvent le luxe de rentrer plus tard, voire jamais sur le marché du travail et d’autres d’en sortir plus tôt que prévu. Quelle ironie du sort !

Certains sont aidés par leur gains sur les marchés, en particulier celui des cryptomonnaies, mais nombreux sont ceux qui assument leur existence à la sueur de leur front en exploitant un lopin de terre, la nature qui les entoure ou en vivant au jour le jour de menus services rendus tels que bricolage, jardinage ou promenade de chiens. Ce phénomène qualifié de mouvement « anti-travail » (« antiwork ») devient notoire et nombre de ses adeptes se retrouvent en ligne pour échanger sur le réseau social Reddit, dont la communauté (subreddit antiwork) a vu le nombre de ses membres passer de 160 000 en octobre 2020 à 1,6 million à la fin de 2021. Même des analystes de Goldman Sachs ont averti dans une note de recherche de novembre dernier, que le mouvement « anti-travail » présentait un « risque à long terme » pour la participation à la population active.

Et en Europe ?

Concernant chez nous, je vais faire très court : tapez dans vos moteurs de recherche les mots clés : « diplômes refusent carrière », « jeunes sortent du marché de l’emploi », etc. Et vous allez découvrir une myriade d’articles qui exprime mieux que moi le mouvement. Intéressez-vous aussi aux commentaires et aux échanges sur les forums. Malgré son taux d’emploi élevé l’Europe n’est pas à l’abri. Nos jeunes ne sont plus forcément en phase avec ce qu’on attend d’eux. Le sujet était déjà sur la table avant le fameux virus mais le fait de nous avoir enfermés des semaines entières à la maison n’a fait qu’aggraver le phénomène. Au delà de la déprime induite, cette politique a permis à tous de se poser des questions existentielles. Elle a invité tous les occidentaux à repenser leur relation au travail. Et je parie que les pays ayant imposé les confinements les plus stricts sont les premiers concernés par cette jeunesse séditieuse.

Où est le problème ?

Chacun est libre de mener la vie qu’il veut. Enfin, ça, c’est tant que ça ne gêne pas les autres. Et là, le fait de ne pas travailler pour le système gêne le système et donc notre société.

D’un point de vue financier, il y a des retraites à cotiser. Qui va subvenir aux besoins des gens qui n’auront pas cotisé ? Et avant cela, qui va financer celles de ceux qui ont cotisé mais dont les cotisations n’auront servi qu’à payer les retraites des générations précédentes ? Ne pas travailler fait peser un risque sur la retraite par répartition. Un risque qui augmente avec le nombre de jeunes qui refusent leur bras aux plus âgés.

Et si on raisonne sans argent : qui va s’occuper des plus âgés ? Peut-être que ce n’est pas le destin des étudiants d’Agro Tech, mais s’ils sortent du marché du travail, d’autres prendront leur place et manqueront dans d’autres emplois, tels que ceux des EHPAD, du tourisme et de tous autres services et biens consommés par les plus anciens. Comme nous le rappellent nos dirigeants, le déséquilibre entre actifs et retraités est déjà un problème criant et cette « évasion salariale » ne fera que l’aggraver.

Ce phénomène est-il nouveau ?

D’abord, je serais tenté de dire que non. Les hippies ont essayé la même chose, l’écologie n’est pas une nouveauté et le germe de la révolution est présent depuis toujours. Par ailleurs, on constate que les révolutions donnent rarement les résultats espérés et que ça met rarement les gens d’accord.

Cependant, cette fois-ci, il y a internet et sa puissance de communication jamais vue. Ça permet d’emporter rapidement plus de monde dans son point de vue.

Par ailleurs, l’idée d’un monde plus sain vient du pouvoir. Ce sont bien nos dirigeants qui poussent à la révolution verte depuis quelques années. Et aujourd’hui, ils doivent gérer deux forces antagonistes : sauver la planète, tout en donnant à manger à tous ; laisser les prix des carburants s’envoler pour pousser à la transition écologique, en même temps que rendre du pouvoir d’achat aux budgets les plus serrés ; laisser les jeunes choisir une autre voie tout en assurant la continuité de l’ordre établi, en honorant la la promesse de la retraite par répartition. Ils doivent ménager leurs futurs électeurs : les jeunes, ainsi que leurs actuels électeurs : les vieux.

Pour ma part, je pense que cette divergence d’intérêt entre générations n’est pas nouvelle et qu’on a toujours su la gérer. Cependant, la société occidentale est actuellement particulièrement fracturée. Quand on en est au point où une école formant des élites produit des révolutionnaires, c’est que l’heure est grave. Le discours de ces prestigieux diplômés qui refusent de participer au système claque comme un coup de semonce. Qu’on l’écoute ou non, cela augure d’un avenir chahuté.

Ces jeunes vont-ils nous faire retourner à la préhistoire ?

En effet, en nous refusant les fruits de leur travail contre notre argent, ils nous imposent de les produire nous-même. Imaginons qu’ils n’aillent plus ramasser les tomates dans les champs et que ça déséquilibre le jeu de l’offre et de la demande, nous pourrions avoir ces légumes à 100 € le kilo. À ce tarif, on verra des plants de légumes sur tous les balcons et les pelouse céderons le pas aux potagers.

Menacent-ils vraiment le capitalisme ?

Ces jeunes sortent de la société, mais pas forcément du système financier. S’ils réussissent vraiment leur retour vers la nature, ils généreront un nouveau groupe social qui partagera d’autres valeurs que celles que nous connaissons. La valeur ne disparaît pas mais change d’objet. Ils sacrifieront plus pour bien nourrir leurs enfants que pour les amener à la neige en février. Ils investiront dans leur éducation plutôt que dans un plus grand téléviseur. Si certains secteurs économiques en pâtissent, d’autres vont en profiter.

Par ailleurs, il est très peu probable que ces jeunes vivent en autarcie complète. Ils échangeront forcément une partie de leur production contre d’autres biens et services. Ils vont donc commercer. Et dans ce cas, il est encore plus improbable qu’ils refusent les facilités offertes par l’argent en tant qu’outil pour réaliser leurs échanges.

Si ces jeunes veulent s’affranchir de notre société pour en éviter les méfaits, ils ne s’affranchiront pas de la nature et de ses lois, bien au contraire. Même s’ils se libèrent de leurs semblables, ils subiront les contraintes des saisons, des pénuries, de la météo… En somme, des limites qui s’imposent à tous, telles que celles des marchés financiers qui définissent la valeur des choses. Ils accorderont de la valeur aux choses rares et moins d’intérêt aux choses abondantes.

Ils anticiperont, planifieront, produiront des efforts pour obtenir des fruits plusieurs mois après, quand ce ne sera pas plusieurs années. En résumé, ils investiront.

Enfin, constatant le décalage entre l’effort et le gain, ils seront tentés d’emprunter des outils ou des heures de main d’œuvre à d’autres qu’ils pourront restituer une fois l’avantage obtenu.

Je ne vois là rien d’autre que la finance et le capitalisme. Même s’ils établissent entre eux un fonctionnement solidaire à la sauce communiste, les réalités physiques ne les lâcheront jamais. La nature peut être solidaire, mais elle est avant tout cruelle.

En conclusion, je loue le courage et l’abnégation de ces jeunes diplômés. Je les soutiens entièrement dans leur quête de liberté et j’espère même qu’ils vont mettre le bazar car je n’en pense pas moins qu’eux quant à la direction qu’on est en train de suivre. Néanmoins je doute fort qu’ils puissent se passer du commerce et de la finance qui en découle. Et si finalement, au crépuscule de ma vie, il n’y a plus personne pour m’assister, c’est que j’aurais raté quelque chose ; par exemple, ma participation à cette révolution sociétale.

Image par Kevin Snyman de Pixabay

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