Faut-il faire de longues études ?

INTERDIT AUX MOINS DE 25 ANS

– C’est l’histoire de Justine et Emma, deux inséparables copines du même âge.

À l’école, Emma est très appliquée. Du côté de Justine, l’école est moins son truc. Elle arrêtera ses études à 16 ans pour rentrer dans la vie active et toucher 1 231 € par mois (actuellement le SMIC). Durant sa carrière, ses revenus augmenteront avec l’inflation, à laquelle il faudra ajouter 1 %/an en moyenne au titre de son expérience. Pour information, dans 50 ans, cette revalorisation de 1,5 %/an portera son salaire à 2 025 € d’aujourd’hui ((1,01^50) × 1 231 €). Ayant commencé à travailler tôt, Justine prendra sa retraite à 65 ans.

Notez qu’ici, comme pour toute la suite, je parle de salaires nets d’impôts.

À l’opposé, Emma étudiera jusqu’à 24 ans et démarrera sa carrière professionnelle avec un salaire de 1 700 € d’aujourd’hui par mois (avec l’inflation, dans 8 ans, ce montant sera plus important et je l’intègre dans mes calculs). Pour elle aussi, les revenus augmenteront avec l’inflation, à laquelle s’ajoutera une revalorisation pour son expérience. Mais Emma étant toujours aussi brillante, il faudra y ajouter revalorisation un peu plus importante que pour Justine, de 2 %/an, qui dans 50 ans, hors inflation porterait son salaire à 4 576 € d’aujourd’hui ((1,02^50) × 1 700 €). Un agréable salaire de fin de carrière, je dirais. Cependant, ayant commencé à travailler tard, Emma ne prendra sa retraite qu’à 70 ans. C’est moins drôle pour sa vie personnelle, mais pour ses finances, c’est un avantage sur Justine. Ainsi, pendant 5 ans, elle maintiendra un niveau de revenus très supérieur à celui de Justine.

Concernant l’inflation, je vous propose d’utiliser 2 %, car depuis au moins 20 ans, c’est l’objectif visé par les banques centrales occidentales. De toute façon, quel que soit le niveau d’inflation, cela aura très peu d’impact sur les résultats que je vais vous présenter par la suite, par ce que sur la durée, l’inflation et les rendements sont corrélés.

À la retraite, toutes les deux toucheront 50 % de leur dernier salaire, tout en maintenant un train de vie identique à celui qu’elles menaient durant leur vie active.

Enfin, durant toute leur existence, adeptes du livret bancaire et ne se posant pas beaucoup de questions financières, leur épargne va leur rapporter 1 %/an (Je sais, c’est même pas l’inflation).

Emma l’étudiante, a de la chance, car ses études seront essentiellement financées par ses parents. Enfin, ce n’est pas forcément une chance car le moment venu de recevoir des dons et legs, elle recevra moins de patrimoine de leur part. Pour les calculs qui suivent, je tiens donc compte de cette perte sous forme d’une dette qu’elle creuse durant ses études, assortie du même taux que ce que lui rapportera son épargne durant le reste de sa vie. Et si elle choisit de souscrire un prêt étudiant, le raisonnement est assez proche. Elle subira les intérêts, comme ses parents se priveront de plus-values générés par leurs placements.

Deux trains de vie identiques

Pour comparer des choses comparables, je vous propose de leur faire consommer 800 €/mois durant leurs études, puis 1 000 €/mois durant leur vie active. Ainsi, après avoir creusé sa dette durant ses études, Emma va épargner largement plus que Justine.
Cependant, elle devra attendre l’âge de 37 ans pour voir son patrimoine rattraper celui de Justine.
À 50 ans, il sera à peu près double. Puis à 100 ans, il sera 4,5 fois plus important (Mon grand optimisme me pousse à porter mon regard très loin).

Plus on gagne, plus on consomme

Maintenant, soyons un peu plus réalistes. Emma gagnant mieux sa vie va consommer plus. Avec moins de temps pour ses enfants, elle embauchera des baby-sitters. Ses amis seront aussi mieux payés et l’amèneront comme eux à dépenser plus. Elle aura besoin de vacances plus reposantes pour mieux récupérer. Etc… Je vais donc considérer qu’elle consomme 1 400 €/mois. C’est à dire à peu près 80 % de son salaire, comme Justine le fait.

Cette fois, elle devra attendre l’âge de 47 ans pour voir son patrimoine rattraper celui de Justine. Ainsi, en augmentant son train de vie de 400 €/mois (d’aujourd’hui), elle ne perdra que 10 ans sur Justine. 10 ans, c’est long, mais un train de vie 40 % supérieur à celui de la simulation précédente, c’est loin d’être négligeable.

À 50 ans, Emma disposera d’à peine plus d’épargne que Justine. Et à 100 ans, son épargne sera 3,5 fois plus importante que celle de Justine.

Pour ma part, je suis assez frappé par le peu d’écart généré par rapport au scenario précédent. J’aurais donc tendance à conseiller à Emma de profiter de la vie !

Mieux conseillées

À présent, imaginons que Justine et Emma croisent sur leur chemin de vie des gens de bon conseil. Des proches, peut-être même leurs parents. Et que ceux-ci leur expliquent qu’elles aussi pourraient faire fructifier leur épargne mieux qu’avec un livret bancaire. Imaginons même qu’elles aient compris le principe avant de commencer à gagner leur vie. Ainsi, dès qu’elles commencent à mettre de côté, leur épargne leur rapporte 5 %/an. Bien entendu, avec un tel rendement, ce ne serait qu’une moyenne sur le long terme. Mais peu importe, puisqu’on parle ici de l’histoire de deux vies.

Cette fois-ci, Emma attendra l’âge de 61 ans pour voir son patrimoine rattraper celui de Justine.

À 100 ans, le patrimoine d’Emma sera 60 % de plus important que celui de Justine. L’écart entre les deux parcours devient donc faible et même très faible quand on pense à la durée.

Chers lycéens, je vous sens soudainement un peu moins motivés. Peut-être allez-vous reconsidérer la filière Économie ?
On ne sait jamais, s’il y avait moyen de gagner plus de 5 %/an !?!

Elles ont tout compris

Imaginons que les parents de Justine et Emma soient familiers  de la finance, des marchés actions, de la prise de risques en connaissance de cause, du CAC 40, etc. Ainsi, avant qu’elles ne rentrent dans la vie active, ils leur inculquent l’idée que l’épargne devrait coûte que coûte être placée sur les marchés actions ou quelque chose offrant le même niveau de risque. Imaginons qu’en plus, les marchés actions reproduisent les mêmes performances que par le passé, à savoir 10 %/an.

Pour avancer cela, je me base sur le Dow Jones qui en 1896 valait 30 points. Aujourd’hui, il en vaut 33 875. Ça fait une progression annuelle de (33 875/30)^(1/125) = 1,058 soit 5,8%/an. Les rares études que j’ai trouvées sur les dividendes nous indiquent qu’elles auraient été en moyenne entre 4,4%/an et 6%/an. Soyons prudent, en considérant le minimum. Ainsi investir sur cet indice depuis son origine, aurait rapporté au moins : 5,8%+4,4% = 10,4%/an.
Maintenant, je suis honnête et je retire 2 % de frais de gestion qui réduiront ce rendement hypothétique à 8 %.

Avec ces 8 % de rendement sur l’épargne, le résultat est sans appel. Le patrimoine d’Emma ne rattrapera jamais celui de Justine.
Emma ne rattrapera sa dette d’études qu’à 45 ans, alors que Justine aura déjà accumulé 650 000 €.
À 50 ans, Emma n’aura mis de côté que 200 000 €, alors que Justine en sera à 1 millions d’€. Attention, ce ne sont pas des euros actuels. L’inflation en aura grignoté la valeur. À leur 50 ans, hors inflation, il ne faut considérer que la moitié des montants en question.

Pour la suite, malgré l’énorme écart de salaire, puis de retraite, l’écart ne fera qu’augmenter et à 100 ans, Emma disposera de 28 % de patrimoine en moins que Justine.

Alors laquelle des deux passera sa retraite en Floride ? Laquelle gâtera le plus ses arrières petits-enfants ?

Le point d’équilibre

En pratique, appliqué à notre exemple, il existe un rendement où les situations de chaque filles sont équivalentes. Si l’on considère qu’elles vont vivre jusqu’à 100 ans, c’est avec un rendement de 7% qu’Emma rattrapera Justine, au moment de rendre son dernier souffle. Avec un rendement de 6%, ça se produira à 67 ans. À 5%, on a vu au dessus que c’était à 61 ans. Bien sûr, Emma aura disposé d’un meilleur salaire durant sa vie et aura pu mener un train de vie plus élevé. Mais force est de constater qu’en utilisant son épargne, dans une seconde partie de sa vie, Justine pourrait mener la même vie qu’Emma.

La fiscalité

J’attire votre attention sur le fait que leur patrimoine finira par subir la fiscalité. Sans optimisation de celle-ci, l’impact pourrait ne pas être négligeable. Et Justine pourrait en subir plus les conséquences, car sa retraite étant plus faible, elle devrait consommer son épargne plus facilement qu’Emma. Malgré tout, sur une telle échelle de temps, ça restera à la marge.

Seule Justine a compris

Envisageons que seule Justine prenne des risques et que ces risques payent comme par le passé. Et reprenons au tout début.

Elles dépensent toutes les deux 1 000 €/mois (elles ont le même train de vie).
Emma reste à 1 %/an de performance avec son patrimoine.
De son côté, Justine passe à 5 %/an (le cas où elle est pas trop mal conseillée).
Dans ce cas, le patrimoine d’Emma ne rattrape celui de Justine qu’à 52 ans, puis reste très proche jusqu’à leur 70 ans, âge de mise en retraite d’Emma. Là, Emma ne gagnant plus que la moitié, le rendement obtenu devient le paramètre majeur et le patrimoine de Justine s’envole par rapport à celui d’Emma.

Dès 5 % de rendement pour Justine VERSUS 1 % pour Emma, Justine gagne sur les deux tableaux : le patrimoine, mais aussi le train de vie, vu que je le rappelle, elles dépensent ici toutes les deux la même chose (1 000 €/mois).

Maintenant, imaginez Justine à 8%/an VERSUS Emma à 1%/an. L’écart serait tellement important qu’il n’y aurait aucune comparaison possible !

Pour finir, je vous propose de revenir sur la seconde simulation, celle où Emma consomme de manière plus réaliste : 1 400 €/mois. Dans ce cas, leurs patrimoines seront tout au long de leurs vies au coude à coude avec un rendement de 3,65 % pour Justine VERSUS toujours 1 % pour Emma. Au delà de ces 3,65%, Emma ne rattrape jamais Justine.

Conclusion

Les exemples de Justine et Emma sont peut-être un peu caricaturaux. Rares sont les français à épargner autant, en tout cas, dès leur entrée dans la vie active. Mais c’est possible. Par ailleurs, ce qui n’est pas si rare, c’est qu’une fois quitté le nid familial, le « jeune » reçoive un coup de pouce financier de la part de ses parents. Par exemple, une petite donation pour accéder à la propriété. Et dans ce cas, c’est un grand coup d’accélérateur donné dès le début de la course. Si, par exemple, cette aide sert à financer de l’immobilier, et que la forte progression des prix de la pierre se poursuit, c’est une fusée qui est allumée ! Bien sûr, peu de jeunes français investissent sur les marchés. Ce n’est pas dans notre culture, mais celle-ci évolue doucement, au contact des anglo-saxons.

On m’a toujours dit qu’il fallait bien travailler à l’école pour réussir dans la vie. C’est probablement vrai pour s’accomplir professionnellement. Mais vous le saviez déjà : c’est loin d’être idéal pour la vie privée. Désormais, vous savez aussi que le report du premier salaire est tellement handicapant qu’il sera difficile à rattraper, malgré des revenus plus élevés.

Mais la chose la plus terrible que Justine et Emma nous apprennent, c’est que le salaire est loin d’être le premier facteur d’enrichissement. C’est plutôt le rendement qu’on obtiendra avec son épargne. En second, c’est le fait de se mettre à épargner au plus vite. Contrairement à Emma, Justine peut le faire. Une illustration de l’adage : le temps, c’est de l‘argent ! Le salaire ne vient qu’en troisième position dans cette liste des facteurs d’enrichissement. En conséquence, je ne déclare pas ici qu’il ne sert à rien de faire des études. Mais j’affirme que bien gagner sa vie n’est pas le premier facteur d’enrichissement. Commencez par vous intéresser aux questions relatives à l’argent et l’épargne. Ensuite, faites profiter vos ados de vos nouvelles connaissances et de votre fraîche expérience acquise. Ne vous impliquez tout de même pas plus que ça, car c’est avec leur argent qu’ils vont prendre des risques ; pas avec le vôtre. Gardez le plus de neutralité possible. Par ailleurs, je peux comprendre qu’en réaction à la philosophie capitaliste on ait envie d’en tenir ses enfants à l’écart. Le présent article est aussi une cynique démonstration. Mais il faut bien reconnaître que depuis que l’humanité pratique le commerce, ainsi fonctionne le monde.

Je vous avertis tout de même qu’obtenir du rendement avec son épargne n’est pas de tout repos. Si c’était le cas, tout le monde serait riche et ça, c’est parfaitement impossible. Notre monde n’est pas fait ainsi. Chez l’homme, comme dans la nature, rien n’est juste, rien n’est lisse ; tout est bouillonnement et il vaut mieux se battre pour rester à la surface. Ici, il ne s’agit pas de serrer les dents pour surnager, mais de réfléchir pour attraper la branche qui passe. Quand je dis réfléchir, je pense au fait qu’il est indispensable de comprendre : Pourquoi prendre des risques avec votre épargne ? Et contrairement à ce que je suggère plus haut, les performances passées ne sont pas la bonne réponse. C’est même un piège ! Si vous tombez dedans, vous reviendrez amèrement aux 1 %/an. Quels que soient votre carrière professionnelle et vos revenus : pas de retraite en Floride ! Bien sûr, les plages de la Manche ne sont pas si mal, mais avouez qu’avoir le choix, c’est toujours mieux. Tout ça me rappelle une étude statistique réalisée dans les années 90 qui expliquait que 5 ans après avoir quitté la NBA (association de basketteurs multimillionnaires), la moitié des joueurs étaient ruinés. Preuve en est que l’argent ne rend pas riche. C’est plutôt une histoire de comportement : mettre régulièrement de côté, prendre des risques adaptés et se montrer patient. Être riche ne s’improvise pas.

Je tiens à votre disposition mon petit tableur permettant de faire ces calculs et bien d’autres…

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